fbpx Female Economy - 3. en conversation | THÉÂTRE ET ATELIER DE 14 JOURS AU MAROC | magazine #5

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3. en conversation | THÉÂTRE ET ATELIER DE 14 JOURS AU MAROC

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3. en conversation | THÉÂTRE ET ATELIER DE 14 JOURS AU MAROC

PAR FANNY KUITENBROUWER

La compagnie théâtrale Female Economy s’est rendue à Tanger, la ville côtière marocaine, pour y donner un atelier de 14 jours consacré à l’intimité radicale. Myriam Sahraoui, chef de projet, Leendert Vooijce, artiste vidéo, Lauren Rissik, dramaturge et Adelheid Roosen, directrice artistique, ont fait se rencontrer des artistes professionnels marocains et des habitants de la ville, afin de leur faire ressentir la méthode d’adoption mise au point par Adelheid. Cette méthode d’adoption est une méthodologie créative qui sert de base à de nombreux spectacles et projets théâtraux conçus par Female Economy. Dans ce cadre, professionnels du théâtre et résidents d’un quartier vivent ensemble de façon radicalement intime, passent la nuit les uns chez les autres en ne se contentant pas d’être de simples visiteurs. Ils se livrent véritablement à l’Autre, afin d’apprendre à mieux se connaître soi-même sous le regard de l’Autre. Cette vraie rencontre est déterminante et constitue la base d’une performance qui entremêle vies et perspectives.

Parmi les artistes participants figurent des membres de la compagnie théâtrale musicale marocaine Kabareh Cheikhats, qui a passé l’été dernier un mois en résidence auprès de Female Economy dans le cadre d’un échange culturel. Nous avons demandé à Myriam comment elle a procédé lors de la préparation de l’atelier, et nous sommes entretenus avec Ghassan et Amine pour savoir ce que signifie être un artiste au Maroc et ce qu’ils ont eux-mêmes découvert au cours de leurs adoptions.

Myriam connaît l’histoire du théâtre marocain, mais était curieuse de découvrir l’état actuel de la discipline théâtrale, et a mené des recherches. Elle a constaté que le théâtre marocain est généralement traditionnel et laisse peu de place à l’expérimentation ; chez Kabareh Cheikhats, elle a reconnu la même volonté d’exploration qu’au sein de Female Economy. Myriam remarque : « L’influence de la France sur le monde culturel au Maroc est encore importante. Kabareh Cheikhats s’est mis en quête du Maroc culturel d’avant la domination française, avec ses odes aux interprètes féminines traditionnelles, les Cheikhats. »

Ghassan explique : « Le théâtre au Maroc est issu de la domination française, mais était interdit à la population locale jusqu’en 1923. Par la suite, aux mains des Marocains, il devint un outil de résistance contre la domination coloniale. Et lors du départ des Français en 1956, le gouvernement marocain reconnut le pouvoir de cette arme de résistance en exerçant un contrôle sur le théâtre. Il n’y est pas entièrement parvenu, car dans les années soixante-dix, on vit surgir partout des compagnies de théâtre amateur, sous l’influence du mouvement hippie. C’est dans ce climat que j’ai grandi. »

Mais depuis, cela a été rendu complètement impossible. Ghassan indique : « Sans document officiel de l’État, on ne peut pas être acteur et on ne reçoit pas d’argent. J’ai bien ce document, mais je ne demande jamais d’argent, parce que je veux conserver ma liberté artistique. Kabareh Cheikhats est une coopération et nous répartissons la recette de nos spectacles entre les membres de notre compagnie. »

Dans le cadre de l’atelier de théâtre, dix artistes et dix habitants d’un quartier de Tanger ont créé une scène dans la médina, le centre historique de la ville. Quelle impression cette méthode théâtrale a-t-elle fait sur Ghassan et Amine ?
Amine : « J’ai été vraiment touché par mon adoption, et je me suis véritablement vu reflété dans un habitant du quartier inconnu de moi. » Ghassan ajoute : « Cette façon de faire du théâtre a trouvé beaucoup d’écho en nous, dans la mesure où elle est en contact avec la réalité de la société. C’est quelque chose qui nous parle vraiment et que nous faisons aussi avec Kabareh Cheikhats. Nous en avions déjà eu un avant-goût lors de la création du spectacle avec Female Economy à Amsterdam en juillet et l’avons encore approfondie au cours de l’atelier avec des collègues interprètes dans notre propre pays. »

Female Economy a trouvé une véritable complice dans l’organisation sociale et culturelle marocaine Darna. Darna a su persuader une dizaine d’habitants marquants de Tanger d’adopter les artistes marocains pendant deux jours et une nuit dans leurs maisons. Les artistes avaient été suggérés par le partenaire artistique local Spectacles pour tous et par Myriam elle-même. Comment Myriam a-t-elle trouvé ces partenaires et quel est leur rôle dans la société marocaine ? Myriam remarque : « Depuis des années, je me consacre à créer notre réseau dans le secteur culturel marocain, et je voulais volontiers le faire aussi dans ma ville natale Tanger. Hamza Boulaiz, directeur artistique de Spectacle pour tous, amène en bus le théâtre mobile dans des villages isolés. Darna existe depuis plus de vingt ans et je connaissais déjà sa fondatrice Mounira Bouzid El Alami dans ma jeunesse. J’ai beaucoup de respect pour la façon dont elle utilise la culture afin d’aider les groupes les plus vulnérables de la ville, notamment les enfants des rues, les femmes seules et les migrants. »

Myriam remarque : « Avec ma directrice artistique, collègue et amie Adelheid, j’ai entrepris un voyage de recherche au Maroc fin 2021. Un beau voyage, qui a ouvert la voie à cette aventure et m’a aidée lors du décès de mon père début 2021. Il m’a incitée à aller chercher dans ma ville, Tanger, le pouvoir de faire le deuil et de guérir à travers la création artistique. Et c’est ce qui a pris forme maintenant.
Nous avons rendu visite à nos collègues, car le succès d’une collaboration réside dans une bonne préparation et dans la possibilité de tirer parti d’un réseau que j’ai constitué ces dernières années. Nous sommes aussi particulièrement reconnaissants du soutien que l’Ambassade des Pays-Bas à Rabat a apporté à notre projet à un stade précoce. »

Les deux directeurs des compagnies locales associées ont aussi participé en tant qu’acteurs à cet atelier : Abdelghani Bouzian, artiste et directeur de Darna, et Hamza Boulaiz, directeur artistique de Spectacle pour tous. Myriam remarque : « Cela nous a permis de les faire participer à l’ensemble du processus, et ils ont ainsi pu découvrir en quoi consiste notre méthode d’adoption. »

contenu

1. état d’être | MYRIAM SUR SA TERRE NATALE
3. en conversation | THÉÂTRE ET ATELIER DE 14 JOURS AU MAROC